Mardi 16 mai 2006 - 20h30

A Roubaix, La Condition Publique

Réservations : 03 20 73 18 94
Durée du spectacle : 1h30 (sans interruption)

 
La Déploration de Johan Ockeghem
de Josquin Desprez sur un texte de Jean Molinet

"Kyrie, Christe" de la Messe Gaudeamus de Josquin Desprez

La Guerre de Clément Janequin

La Complainte de la Paix (extrait) d'Erasme

Champs de Bataille de Maurice Bourbon

Cris de Paris (extraits)

Bribes de Psaumes (extraits)

"Agnus 1" de la Messe Gaudeamus de Josquin Desprez

Choral de la Cantate 80
de Jean Sébastien Bach

Déploration de Josquin de Maurice Bourbon

Questions à Maurice Bourbon et à Philippe Jacquier à propos de Nymphes Des Bois...

Comment est né le projet de Nymphes des Bois ?
Maurice Bourbon : au fil des contacts avec l’œuvre de Josquin, j’ai été progressivement fasciné par le personnage, d’une intelligence géniale, à la fois produit et moteur de l’explosion de la Renaissance
- Dans le même temps, et même longtemps avant, j’avais conçu des projets d’opéras d’une forme un peu comparable (comme un opéra a cappella)
- Une rencontre fortuite avec une artiste exceptionnelle, Casilda Rodriguez, m’a fait rêver de la fusion de l’accordéon et des voix
- Nymphes des Bois, qui n’est cependant pas un opéra à proprement parler, est né de cette rencontre entre un sujet (Josquin, son époque, son regard sur l’époque, sa musique), une forme (ni l’opéra, ni le concert, ni le théâtre ; une certaine forme de théâtre musical, avec des moyens d’expression originaux, comme le texte sous-tendus par une " trame-harmonie ") et la rencontre de deux interprètes : Coeli et Terra et Casilda Rodriguez
Philippe Jacquier : Quand Maurice Bourbon m’a proposé d’écrire avec lui un spectacle sur la Renaissance qui mettrait en scène la musique de Josquin, et en particulier la Déploration Nymphes des bois, cela me semblait difficile. Quand il a eu l’idée insensée de faire apparaître Josquin en personne, cela devenait franchement impossible ! Pourtant, peu à peu, l’extravagance même de ce projet bizarre a excité mon imagination. Je suis entré dans son jeu. Et de fil en aiguille, nos longues conversations m’ont permis d’énoncer trois hypothèses de travail : 1. Il semblait intéressant de confronter l’idéal humaniste aux événements de cette époque. Résistait-il à l’épreuve des faits ? Pouvions-nous montrer comment la confiance dans les capacités créatrices de l’homme et la découverte enthousiaste de la nature et des arts ont été assombries par les fureurs des guerres de religion en brisant cet élan et en alimentant, au contraire, un désenchantement, un scepticisme et une vision tragique du monde ?
2. Hors du brouhaha de l’histoire, le cercle imaginaire du chant ne rechercherait-il pas le silence ? Arrêtant ainsi un instant le cours infernal des événements, les Déplorations pourraient signifier un double silence : celui de la musique et celui de la mort.
3. Parmi la multitude de points de vue que nous pouvions choisir, j’ai très vite retenu les humeurs de Josquin, ses états d’âme. Nous nous intéressions à lui parce qu’il a composé de la musique, qu’il mène le jeu!
Et c’est ainsi que nous avons laissé vivre ces quelques images fuyantes car nous savions que la valeur d’une évocation se mesure à l’étendue de sa trace imaginaire...

D’où vient ce titre ?
Maurice Bourbon : Le spectacle évoquant la période séparant les deux morts d’Ockeghem et de Josquin, Nymphes des Bois étant les trois premiers mots du poème de Jean Molinet écrits en hommage à Ock dans la Déploration, ce titre s’est imposé de lui-même ; son décalage avec le pragmatisme et la violence de notre époque, l’utopisme qui lui est sous-jacent, m’ont de plus évidemment séduit ; les premiers mots prononcés dans le spectacle sont " Nymphes des Bois "

Comment avez-vous abordé l'écriture de ce texte ?
Philippe Jacquier : c’est compliqué... Surtout la référence historique ! Parce que, quel que soit le sujet qu’il aborde, le théâtre se passe au présent. Même si nous mettions en scène un Josquin des Près et son époque plus ou moins connus, notre travail consistait essentiellement à rendre sensible une certaine idée d’un certain passé devenu présent, jusqu’à nous. Et si nous nous proposions de surmonter la distance qui nous sépare de l’univers de Josquin, il eût été vain, voire présomptueux, d’espérer le restituer (nous laisserons à d’autres cette émouvante illusion...) Certes, le monde dans lequel la musique de Josquin est apparue a une histoire répertoriée et commentée. Sa musique a une histoire. Josquin lui-même a une histoire - quelques dates, une biographie bien fragile - et il ne s’agissait pas pour nous de nier ce savoir qui nous renseigne. Les anachronismes que nous assumons nous ont permis de penser le passé, ils expriment, je pense, notre attitude vis-à-vis de l’histoire. (...) Ils sont en quelque sorte des intermédiaires nécessaires, une médiation, au delà du temps. (...) Si vérité historique il y a, elle ne devait être ni dans un personnage, ni dans telle ou telle référence, ni dans un mot, mais dans la totalité du spectacle, impression subjective et fugitive que nous avons du passé. De la connaissance à l’expérience, l’écriture propose donc ici une sorte de rétrospection prospective. Elle laisse faire la magie contagieuse, venue de loin prolonger le présent. Et rencontre l’idéal de cette présence: la musique, bien sûr..

En ce qui concerne votre propre composition, comment avez-vous procédé ? (contact avec des grandes œuvres est-il stimulant ou " terrorisant " ?)
Maurice Bourbon : le spectacle comprend quelques citations, la plupart de Josquin ; le genre " collages " avoue cependant bien vite ses limites et ne peut pas toujours assumer la fusion avec la parole, ou le " sur-lignage " du texte ;
- Le scénario a été élaboré en étroite collaboration avec Philippe Jacquier : j’ai proposé l’idée et le sujet, Philippe a écrit le texte, que nous avons ensuite souvent remanié ensemble lors du travail. Lors de ce travail, le texte et les situations suscitaient des musiques, et les musiques naissantes devaient être réalisables dans la mise en scène : ce travail en " pâte à modeler " et " sur mesure " m’a donc mené tout naturellement à la composition d’une musique originale
- Le voisinage de mes compositions, dans le spectacle, avec de grandes œuvres du passé, comme celles de Josquin, ne m’a pas posé de problèmes " dans le feu de l’action " comme exposé plus haut ; ce n’est qu’ensuite qu’un regard critique a souvent été douloureux, et m’ a souvent engagé à recommencer le travail ! Un problème particulier m’a été posé par la fin du spectacle : comme il commençait par une œuvre magistrale de Josquin, j’imaginai dans un premier temps de le terminer par une autre œuvre de Josquin ; mais la progression dramatique, la mise en scène et, enfin, l’amicale et ferme pression du metteur en scène m’ont convaincu d’écrire une musique originale pour terminer l’œuvre. J’ajoute que oui, j’ai été terrorisé – et je le reste -, mais aussi terriblement excité…

Comment justifiez-vous de passer de Josquin à Bach et de Bach à Bourbon ? Ne craignez-vous pas que les anachronismes musicaux choquent le spectateur ? (Plus l’introduction de l’accordéon).
Maurice Bourbon : j’adore la plaisanterie et, certains diront, la provocation : après avoir imaginé un instant, au cours du travail, que Josquin, un instant éméché, rentre sur scène en chantant du Rameau, redevenir sage et lui faire chanter du Dufaÿ m’a paru assez plat !
" Nymphes des Bois " est une création, une œuvre contemporaine, dont le sujet est Josquin, et comportant par choix de nombreuses citations de Josquin ; je ne vois donc pas d’impossibilité à citer Bach aussi. C’est aussi à mon sens une manière d’évoquer l’immortalité de la musique. De plus, j’ai grand plaisir à rapprocher ainsi ces deux génies de la mathématique musicale !
La question de l’accordéon a déjà été abordée. Outre que j’aime l’instrument, ses possibilités m’ont permis de l’employer, entre autres, dans deux rôles : celui d’un instrument moderne, à qui l’habileté de l’interprète permet une fusion " plastique " avec les voix, et celui , plus classique, d’un petit orgue ou d’une régale. J’ajoute que pour moi, l’accordéon est un instrument dramatique, et que Josquin aurait adoré l’accordéon sous toutes ses formes…

S’agit-il d’une première en matière de théâtre musical avec ce groupe de chanteurs ? Et pour vous-même ?
Maurice Bourbon : c’est une première en matière de théâtre musical pour Coeli et Terra, oui, et sans doute pas une dernière. D’autres projets se profilent…
Pour moi, avec une mise en scène et un scénario aussi élaborés, c’est également une première ; j’ai cependant plusieurs réalisations derrière moi qui préfiguraient un peu " Nymphes des Bois " (" La musique adoucit les murs ", " La musique adoucit l’amour " en 84 et 85 ; " Instrument vert et conteur bleu " en 91).
Ce qui est surtout nouveau pour moi, passionnant et difficile, c’est le travail d’acteur : je suis Josquin dans l’œuvre. J’ai fait autrefois quelques opéras, mais là je ne chante quasiment aucune note…

Faire travailler des chanteurs qui n’ont d’expérience de la scène n’a pas du être facile…
Philippe Jacquier : le théâtre demande beaucoup de vitalité, d’exigence. Mais les chanteurs sont déjà éveillés au rythme, à l’écoute de ce pouls invisible... C’est passionnant ! Nous essayons sans cesse d’incarner des abstractions, de passer de l’intuition à la recherche d’une forme commune, à la fois réelle et symbolique. De dévoiler une idée à travers quelques gestes et quelques répliques. Les chanteurs sont également très sensibles à la musique de la parole, à la déclamation, au chuchotement, aux accélérations, aux bruits, aux silences... Peu à peu, on comprend alors qu’à l’instant précis de l’interprétation, ce n’est pas le texte - ou le geste - qui crée l’émotion, mais l’émotion qui précède et emporte avec elle l’acte de parole - ou le geste. Après ça, il suffit d’apprendre à se diriger sur scène, de développer un certain sens de l’orientation spécifique au théâtre pour éviter de se perdre dans l’espace !

Pourquoi avoir choisi d’incarner, à la scène, vous-même compositeur, le rôle de Josquin ?
Maurice Bourbon : question embarrassante : je me sens tellement en phase avec l’esprit de Josquin, le sens de sa musique, que l’idée de proposer le rôle à quelqu’un d’autre ne nous est même pas venue, à Philippe Jacquier et à moi.
Un acteur de la profession aurait certes apporté beaucoup de choses dont je suis incapable. Mais mon appropriation du rôle de Josquin m’a évidemment énormément aidé à réaliser la fusion entre le texte et la musique

  
 
© samuel sylard 2006 - photos : Nima Yeganefar